#AYHWA - L’hôte et l’autre
À Bangkok et dans le nord de la Thaïlande, je suis ce que je suis un peu partout où je vais: un étranger.
Au petit restaurant Sun Moon, enraciné depuis trente ans dans une ruelle anonyme du centre-ville de Bangkok, Joy nous aide avec le menu.
L’amitié de dix ans qui lie Joy avec ma copine a connu une interruption covidienne, et les retrouvailles se font autour de plats collectifs commandés aux côtés de familles hindoues, chinoises et thaï.
Au fil des repas, nous nous habituons au caractère évasif et suggestif des menus.
Les traductions de Google sont parfois approximatives, et les éléments indiqués ne se transforment pas toujours en vœux exaucés auprès des serveurs.
Plus le mets demandé est occidental, moins il y a de chances que le restaurant ne puisse le livrer dans nos assiettes. Les frites, c’est possible, mais je n’ai vu de pizzas qu’en deux dimensions.
L’arrivée tardive de Joy nous sauve ainsi d’une commande en saccades.
Si nous abordons les serveurs et les serveuses avec une politesse et une révérence étrangères, les quelques échanges quasi gutturaux de Joy et de notre serveur nous illustrent que les rapports organiques sont ponctués de mille subtilités locales qui nous échappent.
Cinq relations clés
Entre deux bouchées d’aubergines frites et de rouleaux impériaux, Joy nous raconte comment la convalescence de son père a mené à un changement de vie généralisé dans la famille: Joy hérite de l’entreprise de sa mère, vouée désormais entièrement au soin de son mari, et la soeur expatriée en Allemagne a effectué un retour dans la terre natale afin de prendre soin du paterfamilias.
Bureaucrate sans grande influence de son vivant, Confucius a établi une posture philosophique qui connaîtra un énorme succès posthume auprès de différents chefs d’états et généraux dans la région.
Confucius présente notamment cinq relations qu’il considère essentielles au bon fonctionnement social.
Ces cinq liens clés sont hiérarchiques, unidirectionnels, et favorisent systématiquement les hommes.
Il s’agit du lien de respect entre un fils et son père, entre un frère cadet et un frère ainé, entre une femme et son mari, entre un jeune et un aîné, et entre des sujets et leur souverain.
Plus de mille ans après sa mort, son empreinte est immense, avec une portée mondiale qui le place aux côtés de Bouddha ou de Mahomet. J’ose comprendre que la philosophie confucéenne marque les esprits en Asie autant que la philosophie de Platon et Aristote ont d’impact sur la pensée occidentale.
L’étranger de l’UQAM
En tant qu’étranger universel, je m’accroche toujours un peu dans les fleurs du tapis, qu’il s’agisse de lotus ou de fleurs de lys.
J’ai cette impression distincte, partout ou je vais, d’être aveugle à certains degrés, surtout incapable de voir le lien tissé qui soude une communauté, et qui agit comme fondation informelle à tous les rapports. Une sorte de blague qui devient d’autant plus drôle parce qu’elle m’échappe.
Des ventes trottoir à Rouyn-Noranda au souk à Rabat, en passant par le marché nocturne de Chiang Khan, dans le nord de la Thaïlande, je suis toujours un Étranger; que ce soit ma gueule, mon accent ou ma démarche, je suis inévitablement autre.
Assis sur des escaliers qui servent de banc, contemplant le coucher du soleil à la frontière avec le Laos, de l’autre côté du fleuve Mékong, j’écoute sans comprendre des quinquagénaires locaux.
Yuval Noah Harari parle d’un avenir dominé par des surhumains, une élite dont les finalités biologiques seront transcendées par le progrès technologique.
Pimp ta sérotonine
Je ne serai pas le premier à adopter un Neuralink, mais si jamais il existe une normalisation de puces permettant de générer une traduction universelle en temps réel, j’adopterai avec plaisir cette tour de Babel dans ma cervelle.
Nous commençons à peine à comprendre à quel point nos humeurs et nos habitudes sont marquées par des équilibres fragiles au sein de notre cerveau, et maintenant le microbiome de l’estomac s’ajoute aux explications scientifiques qui viennent apporter un peu plus de lumière à propos de nos troubles et nos comportements.
Comme j’aimerais, non seulement être capable de comprendre toutes les langues (question de lire entre les lignes), mais aussi être capable de réguler mes niveaux de glutamate, de sérotonine, d’endorphine et de dopamine; être capable de moduler, au jour le jour, la précise alchimie de mon esprit.
Entre temps, j’y vais avec l’entretien manuel, si nécessaire au quotidien: je cours dans les petites rues de la campagne thaïlandaise, contemplant des couchers de soleil qui me rappellent, parfois, pendant quelques instants, les couleurs du ciel des Grasslands au sud de la Saskatchewan.
Il n’y a pas grand mystère, ce qui est chiant c’est de le faire: il faut autant que possible stimuler son cerveau avec de nouveaux apprentissages, de la socialisation, de l’activité physique et une bonne nutrition. Ces renforcements positifs éloignent certaines maladies dégénératives et contribuent systématiquement aux impressions de bonheur.
Sirotant une bière Léo dans un sac en papier brun, nous croisons des enfants déguisés en fantômes bienveillants, et nous passons un moment au côté de ce groupe dont le rapport précis m’échappe; mais en lisant le langage corporel et en constatant l’omniprésence de cheveux gris, il me semble que ce sont des liens de longue date.
Alors que je me questionne à haute voix sur ces enjeux d’identité, un des hommes du groupe, désormais en déplacement, passe à côté de moi et tapote mon genou avec sa main, répétant des syllabes qui m’échappent, mais qui ressemblent peut-être à ‘parle parle, jase jase’, je ne saurais jamais dire.
Suggestions de lecture:
Money, Yuval Noah Harari (extraits de Sapiens et Homo Deus)
The Brain: The Story of You, David Eagleman
The Brain: A User’s Manual, Marco Magrini
Bonjour Étranger! Encore une fois BRAVO!
Tu as un don pour composer, tu gardes notre intérêt jusqu’à la fin.
Tu possèdes un vocabulaire des plus variés, sans limite quoi! (Tu devrais jouer au Scrabble!!!)
À la prochaine!