En sciant les branches de l’immense arbre tombé sur le cocotier dans le jardin, je suis à nouveau frappé par le caractère changeant de notre séjour au Nicaragua.
Sur la route
Lorsque nous sommes arrivés, il y a trois mois et demi, de forts vents soufflaient. Quand nous empruntions la route principale afin de nous rendre à San Juan Del Sur, à une trentaine de minutes à pied, nous devions nous protéger contre les bourrasques de poussière.
Ensuite est venue la saison chaude. Quand les vents se sont essoufflés, la route est restée poussiéreuse un moment, fixe, stagnante.
Alors que la saison chaude avançait, la route, pratiquement dénuée d’ombre, devenait essentiellement impraticable, et j’appréhendais nos escapades suantes vers la fruiterie ou le dépanneur du coin. Heureusement, mes entraînements de boxe ont lieu tôt le matin, avant le début du travail, donc je pouvais emprunter la route sans grand risque de brûler.
Ensuite vint la saison des pluies, et nous dûmes nous procurer des bottes afin de parcourir le chemin en terre qui mène vers cette route principale, désormais composé de diverses flaques d’eau n’en formant qu’une seule lorsqu’il pleut beaucoup, ce qui est souvent le cas.
C’est à cause de cette pluie, notamment, que nous avons fini par couper l’arbre au milieu du jardin, qui devait un jour abriter une cabane pour enfants. Celui-ci s’est déraciné et s’est effondré sur le cocotier, qui risquait à son tour de frapper la façade de la maison.
Malheureusement, il était courant de brûler les déchets organiques près du tronc de cet arbre. Cette pratique, je pense, remonte à quelques années, si bien que l’arbre est essentiellement mort à petits feux: des petites étincelles ont intégré la cime et fragilisé ses racines. Certaines des branches avaient besoin de bien peu de friction avant de fractionner.
Avec le temps, le tronc a été fragilisé, et lors d’une fin de semaine torrentielle, sous l’influence d’une terre visqueuse, l’arbre a tout simplement craqué. Pour limiter les dégâts, nous avons construit un barrage de fortune. Nous avons redirigé l’eau, accumulée dans les creux du jardin, afin que ses flots se dirigent vers la rivière avoisinante.
Lors de la saison chaude, il s’agit d’un canal vide, mais il se remplit rapidement lorsque la pluie tombe, et il déborde lorsque celle-ci s’accumule, créant des risques très réels d’inondation.
Animal
En allant vérifier l’état des lieux après la visite d’un ouvrier muni d’une scie mécanique, j’entends une chèvre hurler. Elle a essayé de boire le café brûlant que je venais de déposer sur la table du perron. Petit dégât.
Nous nous sommes liés d’amitié avec deux jeunes chèvres depuis la mi-mai. Celles-ci accompagnent leur mère, attachée dans le champ environnant. Un résident les dépose là afin de travailler sur un chantier quelques mètres plus loin. Les enfants, attachés symboliquement à leur mère, restent toujours à proximité.
Tranquillement, les chèvres nous ont apprivoisé, et elles sont bien sympathiques, quoique exigeantes. Il arrive toujours un moment où la demande d’affection devient envahissante, voire carrément agressive, et nous devons nous mettre à l’abri de leurs cornes imposantes.
Initialement, nous souhaitions nous lier d’amitié avec trois chevaux vraisemblablement en cavale, mais ceux-ci nous rendent visite de moins en moins souvent. Je pense les avoir récemment aperçus à l’arrière d’un pick-up, menés contre leur gré vers un ranch à la fugue moins facile.
Même s’ils refusaient nos carottes, nous avons eu droit à un rapprochement remarquable il y a quelques mois. Le plus jeune des trois chevaux s’est présenté devant moi, à moins d’un mètre. J’ai préféré ne pas forcer la note, réservant un rapprochement accru pour de prochaines rencontres, mais les apparitions subséquentes n’ont jamais mené à une pareille proximité. Encore aujourd’hui, je me demande s’il m’avait fallu tendre la main à ce moment précis. Je ne saurai jamais.
Cycles
Bref, tout change depuis que nous sommes ici, à nous occuper de cette maison d’amis.
Au début, nous résidons dans la maisonnette adjacente. Quand la famille quitte, nous intégrons la maison, laissant la casita à deux Canadiennes ayant loué l’espace. Finalement, elles quittent aussi. Nous établissons des liens ponctuels ici et là, avec un jeune homme à tout faire, une femme de ménage, mon entraîneur de boxe, des résidents, ainsi que certains commerçants du coin.
Les jours avancent et les derniers s’accumulent. Bientôt, j’aurai mon dernier cours de boxe. Vraisemblablement, nous avons visité le restaurant-piscine Treecasa une ultime fois il y a quelques semaines, sans savoir qu’il s’agissait de notre dernière visite. Un dernier dimanche a eu lieu. Un dernier ci, un dernier ça.
Rester des années quelque part, c’est témoigner des plus longs cycles qui façonnent son caractère. Y passer quelques semaines permet d’en capter un cliché à la fois fixe et flou, parfois faux. Y vivre quelques mois, c’est être exposé à des fragments de cycles plus considérables, à quelques bribes d’une plus grande histoire, celle du changement continu et de l’éternel recommencement.
J’ai hâte de retrouver les parcs de Montréal en juillet, et la campagne italienne ensuite, mais les cafés matinaux sur le perron de Las Delicias me manqueront, tout comme l’immense arbre au milieu du jardin me manque déjà, et tout comme les chèvres et les chevaux me manqueront.
Je suis toujours frappé et ému par le caractère changeant de la vie, qui font d’elle une série de petits deuils, mais qui sont également la définition même de celle-ci. Quand rien ne change plus, c’est qu’il n’y a plus rien.
C’est tout un privilège, de voir le temps qui passe.
Dale Pues.
Il devrait y avoir des animaux dans tous les récits. Chose certaine, on va s'ennuyer de cet endroit par procuration.
Toujours aussi intéressants tes textes. Encore une fois, grand merci.
Je sens que l’arbre vous a fait travailler fort… 1ere expérience pour toi ou non?
J’ai bien hâte de vous voir, à très bientôt!