Tensions ethniques dans les Caraïbes
Héritage colonial sur l’île de Bequia, à Saint-Vincent et les Grenadines
Notre minivan tombe en panne dès qu’on arrive à la mini-maison, revenant d’une brève incursion au populaire Festival de musique de Bequia (dit Be-kwé).
On parcourt les routes étroites et sinueuses de la petite île caribéenne dans un vieux bazou appartenant à nos hôtes. La batterie meurt une seconde fois alors qu’on se stationne dans notre espace réservé sur la colline.
Les Collectionneurs des Caraïbes
Lors d’un concert en plein air, un noyau de touristes blancs aux cheveux gris se dandine au rythme des classiques de leur jeunesse, interprétés par des groupes locaux.
MJ qualifie ces touristes de Collectionneurs des Caraïbes. Ils débarquent de yachts et voiliers pour un rhum punch sur la page, portant les t-shirts achetés lors de brefs séjours sur les îles environnantes: Barbados, British Virgin-Islands, Martinique.
Tandis qu’une chanteuse interprète du Nancy Sinatra, on constate que plus on s’éloigne du noyau des Collectionneurs, plus la circonférence est composée des locaux Noirs. Ils forment un siège social inoffensif, mais flagrant.
Longer les frontières
MJ et moi, on ne pourrait pas se permettre d’être ici sans le house-sit.
Les 5000 résidents locaux de cette île travaillent principalement en tourisme. Ils répondent aux besoins ponctuels des visiteurs occidentaux.
Parmi les touristes, certains ne passent qu’une petite journée en dehors de leur bateau de croisière amarré à proximité. D’autres passent deux semaines dans des hôtels à 700$ la nuit en moyenne, sirotant leurs piña coladas dans une bulle tropicale aseptisée. Quelques-uns établissent un pied-à-terre près de la plage pref’ de Princess Margaret, et ils y reviennent chaque année.
C’était le cas pour un couple de britanniques retraités, rencontré lors d’une soirée Pleine lune au resto-bar Keegan’s. Le mari nous expliquait qu’il y avait bien moins de ségrégation à Bequia que sur d’autres îles caribéennes.
Pourtant, ce soir-là, la grande majorité des clients du côté plage du restaurant étaient Blancs, et la deuxième moitié, de l’autre côté de la rue, près du bar et de la cuisine, était entièrement composée de Noirs. Parmi ceux-ci se trouvait le DJ, qui faisait danser les soixante-huitardes avec toutes les passions que déchaînent les grands classiques du disco.
Effondrement
On a plus de succès avec les vendeurs de fruits que les serveuses. Certains rapports nous semblent carrément hostiles, au point d’en être absurdes.
Notre voiture étant en panne, on va chercher des provisions au magasin général avoisinant le plus proche arrêt de bus, situé à trente minutes à pied de la maison. À la fin de la transaction, alors qu’elle nous doit encore un petit 50 sous, la caissière, assise avec les coudes sur le comptoir, fait un ou deux vas-et-viens du regard entre la caisse et nous-même, et elle décide de tout arrêter. Elle pose son visage contre le comptoir, face cachée dans ses bras.
La transaction, incomplète, est terminée. Nous n’existions plus dans l’univers de la femme avec qui nous interagissions jusqu’ici. Elle nous a fait disparaître.
Vybz Kartel To The Tops
Les routes qu’on emprunte bénéficieraient certainement d’entretiens soutenus. Malgré leur état, toutes les artères de l’île sont alimentées par une circulation continue de navettes, d’autobus scolaires et de véhicules de construction. Ils s’immiscent dans tous les recoins du territoire verdoyant, de l’aéroport aux sentiers de randonnée avec vue sur l’île principale et l’île voisine de Moustique.
Un résident assis près de nous à l’arrêt de bus fait signe à une navette passante d’arrêter afin qu’on embarque. Jouant du Vybz Kartel à tue-tête, le véhicule aux sièges ajustables abrite enfants, adultes et aînés. Pendant notre panne, les déplacements en navettes vers le port ou la maison nous coûtent chacun un dollar canadien. Ces minivans bleues me rappellent les Red Trucks de Chiang Mai, en Thaïlande. C’est très sympa.
Se déplacer sur l’île
Rodney le mécanicien revient à la maison une troisième fois, idéalement la dernière, afin de régler le problème de la batterie morte. Il s’agirait d’une question d’alternateur.
Le mécanicien discute de sécurité alimentaire dans le contexte de la guerre en Ukraine, comme pour passer le temps, en fixant l’horizon, alors qu’en fait il attend que se complètent deux cycles de ventilation sous le capot.
Quand on reprend la voiture après une semaine de paralysie dans le stationnement, on se fait rentrer dedans par une Américaine ayant reculé sans avertissement, à une centaine de mètres de chez nous. Sympathique, la conductrice se responsabilise pour les réparations cosmétiques à entreprendre sur notre voiture. Nous devrons envisager quelques autres jours en début de semaine sans accès à notre véhicule.
On écoutera du Vybz Kartel.