La cigale et la fumée
Les cigales meurent-elles à cause de la qualité de l’air dans le nord de la Thaïlande?
Une chute comme un choc sec et les ailes de la cigale renversée battent à tout rompre, sans pourtant enterrer le sifflement strident de l’insecte condamné.
Les cigales tombent comme des mouches des arbres de jaquier environnants, parfois sur les tuiles translucides surplombant le toit de la terrasse embrumée, parfois sur le bois vernis et vieillissant près de la piscine.
Les fonctions motrices de la cigale sont dysfonctionnelles. Son système nerveux est survolté. Ce n’est pas soutenable. La cigale meurt.
Les fourmis s’y agglomèrent rapidement. L’entourent. La portent et la transportent sur le tronc des arbres qu’elles occupaient vivantes. Le chemin est long mais les fourmis sont partout, toujours, donc le travail se fait.
Les forces de l’ordre face aux flammes
La nuit, j’allume un joint pendant que la montagne brûle. Le lendemain, la montagne disparaît dans la brume.
En février dans la campagne thaïlandaise, à Chiang Khan, les fermiers brûlent leurs déchets et leurs surplus, générant des rangées diagonales de flammes sur le flanc des montagnes environnantes.
La saison dure quelques mois dans la région, depuis des décennies.
En Thaïlande, le rapport officiel au cannabis s’est fait à reculons. C’est devenu légal d’en acheter mais c’est mal vu par le gouvernement. En fumer ouvertement pourrait mener à une amende salée ou une peine de prison.
Dans certaines rues de Chiang Mai, situé dans le nord de la Thaïlande, on ne retrouve que trois types de commerce: dispensaire de cannabis, bar et salon de massage. Les farangs1 et les locaux peuvent en acheter au premier et en fumer au deuxième, sans que quiconque ne batte un cil.
L’air du temps
Certains changements surviennent comme un coup de foudre. D’autres se font attendre de lune en lune, la promesse de renouveau comme un souvenir évanescent, dissous par le temps.
Ainsi, à chaque saison des brûlis, certaines figures autoritaires parlent d’actions à envisager, de dates butoir à établir et de mesures restrictives à adopter.
La saison se déroule tout de même. Les décrets officiels ne récoltent pas suffisamment de souffle pour éteindre les traditions locales de fermiers et de pays voisins.
IQair
L’application IQair évalue la qualité de l’air en mesurant la présence de six substances toxiques qui y circulent, notamment les particules fines PM2.5.
Entre 0 et 50, la plateforme indique que l’air est ‘bon’. Entre 50 et 100, on est dans le ‘modéré’. Plus haut, et on entre dans le ‘mauvais pour la santé’ avec des recommandations du genre ‘portez un masque’ ou ‘évitez l’exercice à l’extérieur.’
Les derniers jours à Chiang Mai ont vu la qualité de l’air grimper au-delà de 300, dépassant même 500 à quelques moments. Les cigales tombaient déjà alors que l’application oscillait entre 150 et 180.
La qualité de l’air serait-elle en train de tuer les cigales? Et pourquoi maintenant, alors que le phénomène date de plusieurs décennies?
J’ai posé la question à un entomologiste
L’entomologiste retraité Michel Boulard a passé 15 ans à étudier les cigales dans la région de Chiang Mai, quittant le pays en 2007. En plus de nombreux articles, il a publié deux livres sur les caractéristiques acoustiques de ces insectes, symboles de la réincarnation en Chine2.
“Cela dit, mes assistants et moi, n’avons jamais relevé de malheurs cicadidéens (sic) tel que celui dont vous avez bien voulu nous faire part.”
Il arrive que des guêpes locales paralysent les cigales avec leurs dards, mais si c’est le cas la paralysie observée ici n’est pas immédiate. Il se pourrait que des champignons modifient le fonctionnement du système nerveux. La nature ne manque pas de morts terrifiantes.
La qualité de l’air pourrait-elle avoir rapport?
“Votre observation, qui me semble une première, peut devenir la banalité à quoi nous devons nous attendre maintenant que le degré des températures ambiantes croît plus vite que permis (!), avant que les possibilités adaptatives des organismes actuels puissent exprimer une réaction adaptative.”
J’ai contacté un professeur du Département des sciences biologiques à l’Université de Montréal, ainsi que le département d’entomologie de Chiang Mai, afin d’avoir plus d'informations concernant le phénomène.
Si vous connaissez des experts qui peuvent éclairer ma lanterne, n’hésitez pas à me partager leurs coordonnées. Ensemble, nous pourrions faire de la SCIENCE!
Étranger en Thai
Notamment Boulard Michel, Comportement sonore et Identité acoustique de six espèces de Cigales thaïlandaises, dont une nouvelle espèce (Auchenorhyncha, Cicadidae)
Très intéressant. À suivre!