Here we go again
À l’aube de la quarantaine, je réalise que les grandes questions qui taraudent mon âme ne seront peut-être jamais résolues. Je suis régulièrement happé par les mêmes angoisses financières, les mêmes insatisfactions concernant mon apparence, et les éternels enjeux liés à mon égo et au regard des autres.
Certes, ces questions peuvent paraître absurdes, presque obscènes, quand on sirote une Hairoun en écoutant Still D.R.E dans une piscine surplombant la mer des Caraïbes. Ces mêmes interrogations semblaient certes plus urgentes, quelques années plus tôt, lors d’une troisième journée consécutive sous la barre du moins 40 degrés celsius dans un appartement réginois mal isolé.
Dans le tapis
Nous avons été très stimulés ces derniers mois.
Notre voyage en Chine représente pour moi un trésor inestimable en matière d’expériences et de découvertes.
Après des décennies à m’intéresser à l’Empire du milieu, j’y étais finalement, en train d’autographier des casquettes d’écoliers dans la Cité interdite. J’ai marché sur la Grande muraille. Mes côtes ont été écrasées par des madames qui jouaient du coude à l’exposition de l’armée de Terracotta. Je me suis rapproché d’un certain laboratoire à Wuhan, enfin, d’aussi près qu’un touriste peut l’être sans commencer à chercher le trouble (footage not found).
Ensuite, j’ai vécu le désormais traditionnel marathon social à Montréal la paradoxale, enragé par les hauts-parleurs bruyants de citadins méprisants dans le transport en commun, troublé par l’enjeu de l’itinérance, mais ravi de voir les êtres chers qui attendrissent mon âme et manquent cruellement à mon quotidien dans ces trois dernières années de mobilité.
Les jours se suivent
Une fois la poussière du Sahara retombée, je me retrouve dans ce quotidien qui sera le nôtre pour les prochains mois, et qu’on répétera vraisemblablement l’an prochain.
Pour nous, il s’agit d’un ralentissement qui nous permet de préserver notre momentum. À accumuler les destinations trop rapidement, on s’épuise.
Si nous sommes reconnaissants des couchers de soleil qu’offre la vue sur le balcon, force est d’admettre qu’il y règne un certain calme. L’horizon nous présente souvent le même spectacle de ces trois ferrys qui chaque jour naviguent de la marina de Bequia vers le continent, ou bien reviennent de Saint-Vincent et les Grenadines.
Alors que les traversiers se déplacent de façon prévisible et assurée, mes assignations professionnelles des dernières semaines, elles, connaissent un ralentissement frôlant la paralysie totale. Il s’agit d’un creux saisonnier, mais combien de saisons nous restent-il, nous, sous-titreurs humains?
Intimidé par l’élan requis pour chercher de nouveaux contrats ou pour développer des idées qui donneraient un second souffle à une carrière médiatique en période de profonde accalmie, je procrastine. Et je suis aidé en ce sens par des applications conçues spécifiquement pour attirer jalousement mon attention.
C’est une épée à double tranchant. Le sentiment d’impuissance que je ressens par rapport à mon gagne-pain, qui peut parfois ressembler à un ramasse-miettes, est exacerbé par le déferlement infini et paradoxal de nouvelles collectivement atroces et de vies personnelles apparemment pleinement épanouies.
Quand une animatrice de podcast demande à l’hôte de Hot Ones s’il porte une Rolex, et qu’il répond oui, je ferme soudainement mon appli. Je me demande pourquoi cette interaction m’a tant ébranlé, moi qui suis plutôt du genre Patek Philippe. C’est parce qu’il s’agissait d’un gage de réussite, et que j’ai toujours été animé par un puissant sentiment d’échec, même pendant les périodes les plus fastes de mes accomplissements professionnels d’antan. Alors, pendant un creux, ces questions de montres de luxe, ça me fait passer un mauvais quart d’heure.
Allez, hop. On se ressaisit.
Le remède à mes épisodes dépressifs a toujours été l’action. Je profite donc de mon abonnement au gym local pour tenter de maîtriser ma forme, sinon mentale, du moins physique, en sachant que la première suivra si la seconde opère. C’est un gym carribéen, avec ses avantages et ses inconvénients. Parfois, on est assourdi par le soca dans le tapis alors qu’on fait ses deadlifts, et parfois, on est attendri devant l’étalement de mangues cueillies par une sympathique consoeur des haltères.
Ça aide, évidemment, de se rappeler que nos émotions sont passagères, aussi enveloppantes soient-elles. Aujourd’hui, je me promène, indifférent aux cocotiers et aux geckos sur mon chemin, mais demain je m’émerveillerai à nouveau devant les colibris qui butinent sur les arbres avoisinant notre balcon.
Il faut éviter de devenir prisonnier de ses pensées, même si parfois, on est tellement dans sa tête qu’on ne voit pas les montagnes andalouses qui déferlent sous nos yeux.
Bref, un creux de vague. C’est difficile à accepter, on se sent presque coupable, même, de se sentir ainsi, tant notre mode de vie est un privilège, un rêve devenu réalité.
Deux petits bums
Parfois, l’instabilité propre à notre mode de vie me donne le vertige, me pousse à des remises en question. Mais je repense à la claustrophobie causée par les contraintes corpos de mon passé récent, où je devais négocier des demi-journées de vacances, accumulées au compte-goutte au fil des ans. Je me sentais cloué à un calendrier consacré aux cubicules et aux pauses café, et le cadre me semblait trop rigide.
There’s no such thing as a free lunch, comme ils disent. J’ai troqué l’avenir supposément prévisible d’une job de bureau pour l’incertitude inhérente au mouvement et à la découverte. Il est tentant de se convaincre qu’il n’y a pas de revers à la médaille de cette vie de bohème, mais il y a toujours de l’espace dans mes bagages pour des points d'interrogation. Il y en a toujours eu. Il y en aura probablement toujours. Qui sait?
Lors de mon séjour à Montréal, une précieuse amie m’a demandé s’il y avait de la fuite dans mon élan des dernières années. Oui, il y a définitivement fuite. Je pense toutefois que c’est la suite logique de la poursuite. Je fuis des choses, certes, mais j’en cherche d’autres, aussi. On ne se déracine pas sans perdre une part de nous-même. Le pari que nous faisons, en suivant le soleil, est que le jeu en vaut la chandelle.
Je crois que si.