Les cerf-volants de Chengdu
Nous sommes assis dans un parc de Chengdu (21 millions d’habitants). Les enfants font planer des cerfs-volants sur le centre gazonné du parc, tandis que derrière nous, sur une petite plateforme, des aînés entonnent des chansons qui nous sont étrangères, mais qui leur sont vraisemblablement très chères.
Une fillette nous aperçoit, avec un air perplexe. La Chine n’est pas un havre touristique classique pour l’Occidental en quête de vacances. MJ et moi nous habituons de plus en plus aux regards curieux que notre présence attire. Avec ma barbe hirsute et mes traits méditerranéens, je suis loin de la moyenne dans l’Empire du Milieu.
En général, les fillettes sont curieuses, les garçons sont trop occupés à être disciplinés par leur mère, les jeunes hommes sont un peu en état d’alerte, et les femmes plus âgées rigolent. Dans le métro, elles nous invitent à nous asseoir, et nous accordent un pouce en l’air quand MJ leur dit Nǐhǎo (allô) ou Xièxie (merci).
Fixés par la fillette dans le parc depuis un petit moment, nous la saluons, ce qui la gêne. À partir de ce moment, elle ne feint même plus de se soucier de son cerf-volant, et entreprend plusieurs allers-retours entre ses parents, plus loin dans le parc, et nous.
Après nous avoir scruté de près quelques fois, la fillette parle à sa mère, qui nous salue de loin, et nous lui rendons la pareille. Quelques minutes plus tard, elle se rapproche à nouveau de nous, cette fois-ci accompagnée de son père, qui lui prodigue quelques mots d’encouragement lors de ses diverses hésitations pendant le petit trajet qui les mène à nous.
Finalement, après quelques tours en orbite et un rapprochement chaperonné, le contact est entamé. Le père, ambassadeur de la fillette, nous explique qu’elle voudrait nous parler. À cinq ans, elle prend des leçons d’anglais, et voudrait nous poser quelques questions.
Avec un anglais mille fois supérieur à mon mandarin, elle nous demande d’où on vient, quand a lieu notre anniversaire, et si nous aimons le hotpot. Charmés par la curiosité de cette fille, qui s’appelle Mumu (sous toutes réserves d’une interprétation malhabile de ma part), nous répondons à ses questions dans le cadre d’un petit échange poli et attendrissant, le père agissant comme médiateur et interprète ponctuel.
Une fois les informations transmises, Mumu et son père rejoignent la mère, restée au centre du parc. Quelques minutes plus tard, le duo père-fille se rapproche de nous à nouveau. Cette fois-ci, Mumu nous offre une orange, que nous acceptons gracieusement.
À notre sortie du parc, nous saluons la famille, et les remercions pour l’échange et l’agrume, encore sous le charme de la curiosité et la générosité de cette fille de cinq ans, qui devait absolument savoir, qui voulait partager, et qui a attendri nos cœurs avec un moment inoubliable.
Cette fillette dans le parc de Chengdu me rappelle l’homme de Kadiköy qui m’a invité à prendre le thé dans sa cour, alors que je courais sur la montagne turque où sa maison se trouvait. Notre communication s’était limitée à des gestes, il me montrait comment manger les craquelins qui accompagnaient le thé. Avant mon départ, il m’a offert des raisins de son jardin.
It’s a small world after all
À Chengdu, les hommes aînés que nous croisions ne nous calculent pas vraiment. À Chongqing (31 millions d’habitants), ils nous remarquent, mais ne sont pas toujours charmés par notre présence.
Ceci dit, les commerçants se montrent toujours patients, cordiaux et souriants alors que MJ pose ses questions en mandarin (ce qui continue de m’étonner) et que nous tentons de traduire leurs réponses en tant réel avec iPhone quand MJ n’en saisit pas les nuances.
Par son rôle en tant que centre de préservation des pandas, Chengdu attire des touristes de partout en Chine, et même d’ailleurs. La ligne d’horizon nocturne de Chongqing, une fois illuminée, est éblouissante, voire un peu déstabilisante, et attire son lot de photographes et de visiteurs ponctuels.
Cependant, la mégapole ne grouille pas d’Occidentaux, et ça se voit dans les regards encore plus fréquents que nous récoltons qu’à Chengdu. Des groupes d’écoliers nous abordent, des amies rigolent après nous avoir salué en anglais, et les piétons nous regardent souvent avec un air étonné.
MJ et moi ne cherchons pas particulièrement le contact avec les voyageurs issus de l’Europe ou de l’Amérique du Nord. Nous sommes un peu sauvages en ce sens, mais nous restons polis et cordiaux lorsqu’il y a contact.
Nous échangeons donc les petites politesses habituelles lorsqu’une famille occidentale emprunte le même ascenseur que nous à notre auberge. Quand l’homme nous demande d’où on vient, on lui répond Canada, et il nous apprend qu’il vient de Regina.
Quelle surprise! Nous leur disons que nous avons nous-mêmes vécu un an et demi à Regina, quand je travaillais à Radio-Canada Saskatchewan. Alors qu’on se sépare, Don, qui a établi le premier contact, nous dit joyeusement: “Us Canadians, we have to stick together!”

Nous prenons cette photo dans un restaurant tout près de l’auberge, où nous les croisons par hasard le lendemain, alors que la clientèle de l’établissement, peut-être pour la première fois de son histoire, est composée à 40% d’anciens Réginois.
MJ et moi sommes impressionnés et inspirés par leur pedigree et le parcours de ce photographe et cette journaliste qui ont enseigné l’anglais en Chine il y a quarante ans, et qui parcourent le pays à nouveau après avoir traversé le Pakistan.
L’aventure des ploucs se poursuit
Ce couple de Canadiens nous renvoie aux Vermontois Randy et Debbie, que nous avons rencontrés à Bequia, dans les Caraïbes, et qui poursuivaient leur aventure mondiale après le diagnostic de Parkinson de Randy, le maladie ne ralentissant aucune de leurs ardeurs d’explorateurs intrépides et actifs.
Alors que nous entamons notre troisième année de voyage, et que nous récoltons les titres d’étrangers dans plusieurs langues (farang en Thaïlande, barang au Cambodge, gringo au Nicaragua, lǎowài en Chine), nous nous demandons souvent si notre mode de vie de ploucs nomades relève de l’effet de mode ou du caprice ponctuel.
Arrêterons-nous bientôt de lever l’ancre afin de planter nos racines plus profondément sur la terre ferme?
Si c’est ce que notre coeur nous dit de faire, nous le ferons, nous nous installerons quelque part. Mais de voir des gens qui ont vu plus de lunes et d’hivers que nous poursuivre l’aventure, avec autant de curiosité, d'initiative et de courage, ça nous inspire, et ça nous valide dans une expérience que nous savons loufoque, mais qui interpelle autant nos âmes que nos pieds.
Après Rome, New Delhi et Istanbul, nous visiterons bientôt Pékin. Quelle chance nous avons.