Les départs, c’est toujours bizarre
Je vous écris de l’Albanie, entre la Toscane et la Grèce
Nomade dès mes premiers pas
Le premier départ dont je me souviens, c’est lorsque nous avons quitté Ville Saint-Laurent, à Montréal, peu après ma bar-mitzvah, pour nous installer à Rouyn-Noranda, en Abitibi, où la moyenne en bar mitzvot était significativement plus basse.
C’était, pour moi, un départ plein d’espoir. Rejet à l’école Maimonides, je voyais dans ce déménagement une occasion de faire table rase, socialement. Ce fut le cas. Outre quelques cas d’intimidation à mon école secondaire d’Iberville, les cinq années vécues dans la capitale nationale du cuivre ont été formatrices, révélatrices et fort amusantes.
Avant cela, j’étais trop jeune pour saisir le sens de nos premières migrations familiales, d’abord, de mon Boston natal vers le Paris de mes parents, avant même mon premier anniversaire, et ensuite, de la Ville Lumière vers la Belle Province, alors que j’avais cinq ou six ans. Aussi bien être téléporté endormi.
Ensuite, outre le déménagement de Montréal vers Rouyn, tous mes départs subséquents m’ont rendu mélancolique. Ceci dit, j’ai la mélancolie facile.
J’ai pleuré dans l’autobus Maheux, qui m'éloignait de mon amoureuse et de ma famille, présents au terminus de l’avenue Horne, alors que le véhicule me menait vers la gare de Berri-UQAM, une dizaine d’heures plus tard.
Quitter Toronto pour retourner dans la métropole québécoise, ça s’est fait dans un climat d’échec, après la fin prématurée de mon contrat d’animation à TFO, dans la Ville-Reine.
Partir de Montréal, pour aller travailler à Radio-Canada en Saskatchewan, c’était chouette, mais le départ s’est fait dans le contexte plutôt morose d’une métropole en pleine pandémie.
Et même si nous quittions Regina dix-huit mois après notre arrivée, afin de passer une année à explorer le concept du house-sitting en Asie du Sud-Est et au-delà, le décollage était tout aussi déchirant.
Ce n’est pas nécessairement d’où je m’éloigne qui me frappe, mais bien le fait de me départir d’une partie de moi, cultivée dans un endroit qui désormais fait partie de moi. C’est comme une amputation et une greffe, simultanément.
Sous un nuage Toscan
Les derniers jours en Toscane étaient empreints des mêmes sensations déstabilisantes que lors de tous les départs mentionnés jusqu’ici.
D’un côté, nous y avons fait notre temps, avec une accumulation de journées pluvieuses et froides, de repas ordinaires dans des restaurants sans grand charme, et une succession presque sans fin de promenades matinales avec nos adorables chiens, Oscar et Lucy.
Toutefois, on s'est attaché aux magnifiques couchers de soleil en bordure de notre hamlet. On commençait tout juste à faire la conversation avec le voisinage. Et on s’est quand même régalés.
On se sent liés à un endroit, graduellement enracinés, à vrai dire, et frappés par la vitesse avec laquelle les racines s’accrochent à la terre.
Partir, c’est toujours bizarre, mais je pars toujours.
Dans les dernières années, j’ai appris à m’écouter en quittant les fêtes sans saluer les autres invités, tant les aux revoir me mettent mal à l’aise.
Cette semaine, j’ai plié bagage sans saluer nos voisins immédiats, des expatriés du même âge que nous, environ, avec qui nous discutions moustiques et vignobles. Et ce n'est pas la fin du monde, puisque le mannequin argentin m’a quand même ajouté sur Instagram.
Des balcons des Balkans
J’écris ceci à partir de Tirana, lors d’un bref séjour en Albanie, questions administratives entourant la zone Shenzhen oblige. Encore une fois, je suis frappé par le caractère souvent régional de la réalité.
Officiellement, les pays et les villes sont souvent à l’avant-plan des représentations culturelles, mais je trouve que l’impact que peut avoir une région sur les comportements et l’ambiance est parfois beaucoup plus subtil et profond.
La ville et le pays sont définis par des lois, des règlements et des frontières relativement claires, mais les régions sont surtout influencées par l’histoire et le climat. L’olive, le christianisme, le communisme et le pois chiche modèlent le quotidien de générations successives, et font d’étrangers éloignés des cousins aux perspectives parfois étonnamment similaires.
En me promenant dans les rues de Tirana, à négocier maladroitement les taux de change entre les Euros, les Leks et les dollars canadiens de mon cadre référentiel, je me heurte aux influences turques, slaves et européennes. Il n’y a pas de McDonald’s, ici, mais il y a des Air Jordan, des lèvres modifiées par la chirurgie plastique, et des jeunes en jumpers qui vapent, bref, la modernité.
Quand on porte les traces de l’Empire Ottoman et des souliers Nike en même temps, ça donne un peu les Balkans. On sent que des villages voisins, sous l’emprise de despotes avec des accents circonflexes sur les consonnes de leurs patronymes, se sont entre-déchirés pour des questions théologiques depuis longtemps enfouies dans les astérisques des textes sacrés, mais qu’il règne désormais une forme de consensus marqué par les buzz-cuts et les cafés corsés.
Et en parlant d’empires enfouis dans les sables du temps, notre prochaine destination, c’est la Grèce, avec un bref passage prévu à Athènes.
Nom de Zeus! J’ai si hâte d’aller y voir les vieilles roches!
Joseph, tu décris fort bien les départs, j’en ai connu aussi, mais pas autant que toi. De Lacorne vers Rouyn et de Rouyn vers Québec. Et bien certain, quelques départs de courte durée, pour de petits voyages.
Par contre j’ai connu beaucoup de départs à l’inverse des tiens, départ de la maison de mes enfants, un après l’autre, la vie normale, quoi! Et plein de départs de ces mêmes enfants qui partent vivre à travers le monde pour de courtes ou longues périodes. Je les trouve très chanceux, je leur souhaite tout le bonheur possible, mais pour moi, ça reste des départs. Surtout, ne pas prendre cela comme négatif ou triste, je voulais simplement raconter aussi mes départs.
J’aimerais savoir composer aussi bien que toi! Encore une fois, merci pour ton texte.